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FALLOUT24

Verset 13 : Vade Retro Me, …

La vie à ce moment était très calme. Régulière. Voire même plate. Mais quelque part, ce repos était mérité et nécessaire. Le matin, je me levais en général vers huit heures, réveillé par le soleil qui passait à travers les barreaux. En effet, les cellules avaient été changées en chambres. Il avait d’abord fallu enlever les squelettes et autres restes humains : abandonnés par les gardiens, de nombreux détenus avaient demandé à leur compagnon de cellule de les étrangler ; ceux qui étaient restés s’étaient tous plus ou moins suicidés d’une manière ou d’une autre, beaucoup en donnant des coups de tête répétés dans les murs. Des traces de raclure sur certains os n’avaient pas laissés de doutes : l’anthropophagie avait donné un sursis de quelques jours à quatre ou cinq prisonniers. L’un d’entre eux en était même venu à s’auto-consommer. Je n’osai imaginer combien il avait souffert. Nous avions donc débarrassé les cellules de leur contenu, mobilier compris, puis enlevé les portes. Les barreaux aux fenêtres avaient été laissés, Python résonnant toujours du point de vue stratégique. Petit à petit, chaque pièce recevait un vrai lit et un rideau opaque venant du ‘’village’’ pour masquer l’entrée. Mais ce n’étaient pas de réelles chambres, simplement des lieux de repos réservés aux fonctionnaires et aux étudiants pendant leur séjour à Phoenix Point. Etaient considérés comme étudiants aussi bien les jeunes, qui étudiaient réellement, que les membres de la future milice, qui apprenaient pour le moment avec un caporal du groupe. Python ayant su, sans que je sache comment, que j’avais de grande connaissances générales, scientifiques, et historiques, il m’avait demandé de faire des conférences générales libres et des cours plus spécialisés pour les jeunes, qui devaient avoir un package de connaissances, de savoirs, et de capacités avant de choisir leur voie. Mina, elle, enseignait également, aux femmes, sur des sujets de biologie qui ne concernaient qu’elles seules. En général, on apprenait aux jeunes les connaissances générales, aux hommes comment se battre et manier la charrue, et aux femmes l’hygiène et le soin. Nous n’avions pas le temps de prendre en compte quelque considération de sexisme que ce soit ; ces concepts, problèmes de civilisations avancées n’ayant rien à se mettre sous la dent pour empêcher la béatitude et la paix des ménages, n’étaient même pas soulevés par ces gens, trop heureux de pouvoir espérer un avenir pour leur enfant. Après une telle répartition, nous espérions que les différents membres de la famille se retrouvant ensemble sous la tente, le soir, au village, feraient prendre conscience aux autres et partageraient leurs nouvelles acquisitions. Bref. Réveillé, j’embrassai Mina qui dormait encore, puis me dirigeai vers les douches communes de l’étage, lieu de joie et de tendresse pour ceux qui n’avaient jamais vu l’eau courante, comme cela avait du être lieu de joie et de tendresse pour les prisonniers quelques années auparavant. Encore de nos jours, perpétuant la tradition carcérale, il n’était pas rare de voir un couple s’enlacer ou faire l’amour, sous l’eau chaude et les regards des autres baigneurs. Python n’avait pas souhaité restreindre les mœurs sexuelles des villageois, qu’il avait tendance à prendre pour ses enfants, non seulement en cherchant à les protéger, mais surtout en cherchant à les éduquer, les prenant un peu pour des ignares inconscients du monde où ils vivaient. « Nous n’avons pas survécu à cette civilisation et ses maux pour en réintroduire les concepts les plus ridicules et pervers. Je me chargerai personnellement du premier qui enseignera des valeurs judéo-chrétiennes. Les romains allaient ensemble aux termes, pourtant ce fut une civilisation bien plus avancée que celles des mille ans de ténèbres du Moyen-Age, obscurantiste, dirigé par la religion. Les grecs, deux mille cinq cent ans après, étaient toujours rabaissés car leur ancêtres, précurseurs en sciences et philosophie, à un point que l’on ne pût atteindre à nouveau qu’à la renaissance, avaient des relation homosexuelles. Je ne veux pas de ce ridicule ici. » Après avoir donné des cours toute la journée, j’allais en général passer deux heures, avant le service de vingt heures du réfectoire, au bar du village, situé sous une immense yourte au centre du regroupement humain. Cela aurait pu être une triste constatation, mais il y régnait une atmosphère joyeuse et bienveillante, toute la famille se retrouvant là après une journée de travail. La mienne n’était pas terminée : je restais là pour sonder les gens, déceler les problèmes, baisser les tensions, et faire un rapport quotidien à Python. Cela ne m’empêchait toutefois pas d’entrer dans certaines conversations avec ferveur, comme le débat sur l’élection de Miss Cats’Paw 2031, controverse depuis bientôt un siècle. Un jour, j’entendis parler un homme qui disait combien il était heureux d’avoir trouvé une enclave susceptible de leur résister. Tous les membres de sa communauté avaient en effet été massacrés, alors qu’il était à la chasse, vraisemblablement par des gens en voiture. N’était-ce pas en moto ? Peut-être. Les témoignages affluaient ; de nombreux massacres avaient été perpétués. Les rumeurs et les peurs voyageaient facilement, mais les faits étaient trop nombreux et précis, concordant tous, pour ne pas être réels. A chaque fois, les rares survivants n’avaient pas été présents, et auraient préféré l’être plutôt que de trouver leurs amis et êtres chers mutilés et carbonisés. Malgré tout, tous étaient confiants ; ici, le rempart qui les entourait les protègerait. Les ingénieurs du groupe Phoenix avaient installé d’énormes tuyaux jusqu’à un fleuve assez proche, qui alimentait ainsi une rivière artificielle coupant le village, et remplissait les douves nouvellement créées. D’un coté de ces douves, la muraille faisait trois mètres de haut, dont la moitié en pierres et l’autre en bois. Peu à peu on la renforçait, des plaques de tôle étaient vissées, et des miradors de plus en plus nombreux étaient édifiés. De l’autre côté, les immeubles ayant été rasés à cinq cent mètres à la ronde, un système de défense copié sur celui des romains, chausse-trappes et autres pals, devait permettre de ralentir l’assaillant. Toutes ces mesures n’avaient d’ailleurs jamais servies, mais personne ne s’en plaignait.
Ce soir là, un peu éprouvé par l’évocation de mauvais souvenirs, j’allais vers les fonds de la tente, où l’air était plus frais, où il faisait plus sombre, donc l’endroit idéal pour se retirer un peu. Je remarquai un homme qui devait être assez grand, les cheveux gris, argentés ternis, dont les yeux à la fois clair et sombre étaient si profonds qu’ils rappelaient le problème de l’impossible conception de l’infinité de l’univers. Ce qui m’étonna fut le grand imperméable dans lequel il était enveloppé. Descendant jusqu’aux chevilles, les rabats remontés de son col ne laissaient voir que son nez et la partie de son visage située au dessus de ses pommettes. Ce qui me troublait était que ce genre d’imperméable était introuvable de nos jours, la plupart des gens se contentant de guenilles rapiécées. Il avait du le payer une fortune, et quelque part n’avait pas sa place ici : pour apprécier ce genre de vêtement il fallait avoir des notions sur l’ancienne civilisation, et il aurait alors du contacter Python pour se faire employer autrement qu’en simple paysan. Les yeux toujours dans le vague, sentant peut-être que je le sondais, il m’adressa la parole. « Vous n’êtes pas encore sur la liste. Ils font d’abord un repérage puis reviennent quelques mois après. D’ailleurs, on les a vu quelques mois auparavant vers la cathédrale de St John The Divine. Ils ne devraient pas tarder à repasser. » L’homme but une gorgée ; il ne m’avait toujours pas regardé. Il se leva, fit mine de partir.
« Pourquoi me dis tu ça ?
-J’ai cru comprendre que tu les cherchais…
-Comment, je n’en ai même pas parlé.
-Disons que j’ai aussi mes intérêts là-dedans. Je ne fais qu’aider.
-Je commence a en avoir marre des explications évasives. Qui es tu ?
-Un ami m’a envoyé. Il cherche des informations sur ces motards ; sans doute un compte à régler, également. J’ai cru comprendre que tu avais le même but. Si tu le rencontres, dis lui que tu viens de ma part… »
Il avait un accent français. Je me demandais ce qu’il faisait ici. Le temps que j’émerge, il avait déjà écarté un pan de toile et était sorti. Je le rattrapai. Il avançait vite, enfoncé dans son imperméable épais, fatigué et crotté, les mains dans les poches, quelques cheveux échappés ondulant à chaque bourrasque. Il faisait déjà nuit, octobre aidant. Il faisait déjà froid, l’hiver arrivant. Il marchait d’un bon pas, libérant régulièrement un nuage de vapeur. Je lui demandai à nouveau qui il était. Il sourit énigmatiquement, laissa échapper quelques brides de phrases non moins mystérieuses à propos de villes qui n’existaient pas, parties de chasse, ou vaisseaux de pierre. Je l’abandonnai alors qu’il traversait le pont qui allait être levé pour la nuit. Il disparut, absorbé par l’obscurité. Un des gardes me demanda si je voulais le suivre, sans quoi il allait devoir bloquer le passage jusqu’au matin. Toute hésitation fut peu à peu dissipée par le pont qui reculait.
J’avais déjà entendu parler de la communauté de St John The Divine. Lorsque nous convoyions du matériel dans le camion, nous avions dû nous rendre là-bas pour déposer des pièces pour orgue. On m’avait dit que c’était une communauté d’illuminés, qui vivaient selon les préceptes strictes de l’Eglise Anglicane. Ou peut-être une version un peu plus obscurantiste, manque de contrôle ou simplement de contact extérieur oblige. La cathédrale, anciennement la plus grande du monde, mais sans doute de dimensions réduites depuis la bombe, servait la journée à chanter psaumes ou incantations. A côté, un gros bâtiment d’affaire avait été investi, et servait maintenant de couvent/monastère/dortoir. Je n’en savais pas beaucoup plus. J’allai voir Python.
« Tu veux que je t’alloue cinq hommes du Phoenix, pour aller protéger un groupe humain complètement déconnecté de la réalité, contre des assaillant hypothétiques qui devraient soit disant les attaquer ? Cette information donnée par un personnage inconnu et énigmatique qui a bien évidemment disparu ? Et bien sûr, tu n’as ni son nom, ni celui de son ami. Je me demande comment tu vas pouvoir annoncer ta recommandation, si tu le rencontres, si tant est qu’il existe. Quoi qu’il en soit pour ton affaire, beaucoup de suppositions et peu d’intérêt à mon goût. J’aurais même plutôt tendance à me méfier de ton informateur.
-Tu ne te rappelles pas des quatre motards qu’on avait vu ? C’était eux, c’est sûr. Ils attaquent et détruisent tous les groupes humains, tu sais bien qu’ils vont finir par passer par ici. Même si la prison résiste, le village sera détruit et de nombreuses personnes périront, si l’attaque est trop rapide. Et puis, sauver ces gens assoirait encore notre renommée.
-Je crois que tu cherches plutôt à venger Tina, Kurts, et tous ceux que tu avais croisé et qui ont disparu. Le groupe Phoenix n’est pas sous mes ordres, malgré ce que tu sembles croire. Un jour je les ai rencontré, par hasard. En fait, j’avais mes entrées. Nous avions juste un but commun : la renaissance de l’humanité. Le groupe Phoenix avait été créé par des pontes religieux qui étaient maintenant convaincu que Dieu était mort, ou pire qu’il avait renié ses enfants. Ils avaient donc décidé de prendre en main leur destin, de sauvegarder le patrimoine de l’humanité, et d’attendre une opportunité pour créer une seconde renaissance. Bref, ayant sympathisé avec un des chefs, chacun faisait ses affaires dans son coin en attendant un évènement qui nous permettrait un nouveau départ. La prison était connue depuis longtemps, la découverte d’une locomotive n’était qu’un simple scénario possible qui s’est réalisé. J’en ai le commandement ; eux, ils restent dans leur bastion avec les archives, et nous prêtent une partie de leur armée, du moins le temps de former une milice ; et je sais également qu’en cas de problème je pourrai compter sur eux. Tu imagines bien que j’aurais du mal à leur demander des hommes alors qu’ils sont assez peu, pour défendre une cause hypothétique, et au profit de membres d’une église qu’ils ont rejeté. Oublie cette idée stupide ; maintenant j’ai du travail. »
Peu à peu, le projet de partir se formait dans mon esprit. Lorsqu’il fut complètement omniprésent, il s’imposa et plus rien ne pût me faire changer d’avis. J’en parlai à Mina, qui le prit plutôt mal. Après trois jours à me faire la tête, elle me dit que j’étais libre, mais me pria d’accepter son Python Magnum .357 ; elle lui faisait confiance et il me ramènerait entier. Python me convoqua le soir même. « Puisque tu veux quitter la renaissance pour retourner à ce pays qui pue la mort, pourquoi pas. Va-t-en maintenant. Juste, avant, rend moi le cadeau que j’ai fait à Mina. Il ne t’était pas destiné. Je lui ai donné pour le jour où je ne serais plus là pour la protéger, pas pour qu’il arrive dans les mains d’un crasseux qui ne sait même pas ce qu’il cherche. Je te préviens, si tu la trahis, ce n’est pas la peine de revenir. » Plus tard, je fus troublé par cette attention qu’il portait à Mina. Mais, sur le coup, furieux, je partis et allai prendre mes affaires. Je sortis ensuite de la prison et me dirigeai vers le pont qui permettait de traverser les douves, frontière entre « notre monde et le leur », comme le disait souvent Python. Adossée au poste de garde, Mina semblait m’attendre. Elle me regardait, les yeux à la fois plein de reproche et de larmes. Je ne pus m’empêcher de baisser les yeux. « Je crois que quelque part, tu cherches l’aventure plus que le bonheur. » Je crois que quelque part, elle avait raison.
J’avais toutefois traversé le pont. Je repartais dans les wastelands, vers de nouvelles aventures, comme on pouvait le lire dans les romans bons marchés du siècle dernier.

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