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FALLOUT24

Verset 1: Alpha

2102. Ce siècle avait deux ans. De l’origine du monde sortait un petit bébé rose, qui pour la première fois voyait le jour. En fait de jour, il s’agissait de la lumière électrique et froide d’un néon, dans une salle d’accouchement à 150 mètres sous la surface. J’ouvrai donc les yeux sur une pièce dont les murs étaient en acier, avec au dessus de moi une machine effrayante d’où sortaient scalpels et seringues, au dessous une femme visiblement soulagée, et autour des médecins en blouse blanche sous laquelle ils portaient une combinaison bleue avec une inscription jaune dans le dos : 24.

Quand la guerre avait été déclarée, vingt-cinq ans avant ma naissance, le gouvernement américain avait décidé de sauvegarder l’espèce et les valeurs droites et honnêtes comme la démocratie, la justice ou l’égalité, en envoyant dans des abris anti-nucléaires des membres du peuple tirés au hasard, c'est-à-dire qu’ils devaient être beaux, forts, intelligents, conservateurs, et blancs de préférence. Malheureusement l’abri dans lequel mes grands parents avaient été envoyés, l’abri 24, fut coupé du monde extérieur et de la centaine d’autres abris quand il fut fermé : les systèmes de communication étaient défaillants et ne purent jamais être dépannés. L’abri avait un dirigeant qui avait été choisi pour sa stabilité mentale, sa capacité à diriger de la meilleure façon qui soit, et son lien de parenté avec le gouverneur de l’état de New York. Après une révolte réprimée dans le sang, il décida qu’il se devait, pour éviter l’anarchie, d’instaurer la loi martiale, et donc de devenir un véritable despote. Quelques années plus tard un culte de la personnalité avait éclos, et, moins de cinq ans après le début de la vie en autarcie, l’obscurantisme total régnait sur l’abri 24. Trop peu de temps a mon goût pour que des drogues n’aient pas été largement distribuées dans la nourriture. Je dois reconnaître au dirigeant une qualité, la modestie : le culte qu’il avait instauré avait pour sujet le chiffre 24, et, alors qu’il aurait pu s’autoproclamer Dieu, il s’était contenté d’être le shaman, le prophète, celui qui allait mener le troupeau. Pourquoi le 24 ? Dans un premier temps parce que c’était un chiffre inscrit un peu partout sur les murs, et puis, comme nous l’enseignaient les cours de mathéchisme, deux plus deux, aussi bien que deux multiplié par deux, ou deux mis à la puissance deux, donnaient toujours quatre. Suivaient d’autres arguments tout aussi futiles, comme le fait que les journées contenaient vingt-quatre heures, preuve que le nombre était clef et ne pouvait être qu’un signe de divinité. Evidemment, plus personne ne savait que l’extérieur avait existé, et personne ne se posait de question, encore moins deux générations après être entré. Dans cet univers moyenâgeux où la monumentale porte de trois mètres de haut qui donnait vers l’extérieur était censée être la porte par laquelle viendraient les dieux (deux et quatre) pour nous récompenser, ou les démons (trois l’impaire impur et zéro l’annihilateur) pour finalement nous punir, une autre personne outre le dirigeant connaissait la vérité et avait une réelle importance : le responsable de la docthèque. Le dirigeant, dans un sursaut de lucidité, avait décidé de ne pas brûler tous les documents et de garder ces précieuses informations pour quand il faudrait sortir et quand ‘’il n’aurait plus besoin de nous tenir en main’’. J’avais eu la chance d’être le fils du documentaire qui était resté conscient de la situation, alors que le dirigeant lui-même semblait maintenant emporté par sa propre folie. Mon père, fils du premier documentaire, avait gardé précieusement le savoir sans le divulguer, et acceptait cet état des choses même s’il ne le cautionnait pas. Il m’avait assez tôt fait entrer dans cet antre défendu à quiconque, tout en me responsabilisant sur ce que j’allais découvrir ; et c’est ainsi que j’avais acquis toutes ces connaissances.

Je venais d’avoir 25 ans, j’étais officiellement devenu documentaire en second un an auparavant, à ma majorité ; le dirigeant actuel était le fils du premier, et ma génération était la troisième à connaître l’abri ; nos grands parents, les seuls à avoir respiré un air non régénéré artificiellement, étaient tous morts et de toutes façons comme je l’ai expliqué ne s’en souvenaient même pas. Une coutume voulait que tous les 24 décembres à minuit, un an sur deux (la 24e heure du 24e jour du 24e mois), 24 personnes soient sacrifiées à nos dieux. C’était une manière comme une autre d’éviter la surpopulation, et, de la même manière que les chrétiens s’étaient imposés en calquant leurs fêtes sur les réjouissances païennes, la nouvelle religion avait détourné de nombreuses dates. Une fête solaire était devenue il y a deux mille ans la fête de nativité, et devenait maintenant une fête funéraire. Les sacrifiés étaient choisis au hasard, parmi les plus vieux. Cette année là ma mère avait été choisie. Ce fut je crois l’élément déclencheur : je détestais cet obscurantisme et cette religion ridicule, certain que les abris n’avaient pas été faits pour ça, et contrairement à mon père, je protestais en jetant régulièrement des allusions à la face du dirigeant lors de cérémonies, après quoi il me renvoyait un regard destructeur et mon père des yeux suppliants. S’il avait eu un fusil turbo-plasma à la place des yeux… Je ne doutais pas que cette nomination était un avertissement, mais de toutes façon ma mère était perdue puisque le dirigeant ne pouvait revenir sur sa décision. Ma mère était très heureuse, elle qui n’avait jamais rien su, et mon père, triste, ne disait rien. Moi, jeune et con, comme disait mon père en souriant, je décidai de me rebeller contre ce dirigeant vieux et fou.

La discipline était totale, et, tout le monde obéissant au couvre feu et aux lois en général, il n’existait pas de garde. De même, l’armurerie avait été transformée en salle de cérémonie où seul le despote pouvait entrer, et n’avait jamais été violée. Je me levai donc en pleine nuit, allai prendre un marteau à l’atelier et brisai le frêle cadenas de la salle d’arme. Il y avait là de nombreuses armoires métalliques ; j’ouvris celle labellée ‘armes de poing’ et pris un 10mm, que je mis dans mon dos, à la ceinture. J’allai ensuite voir le dirigeant et eus une légère altercation avec lui. Il était comme à son habitude dans la salle de contrôle, sur son ‘trône’, une sorte de nacelle électronique sur un pilier. Il mangeait et dormait là, à deux mètres au dessus du sol. Pour une fois ce ne fut pas des allusions mais de vrais mots : je le menaçai de tout révéler, ce qu’il ne prit pas bien du tout. Il devint alors très conciliant, et alors qu’il pressait un bouton en me souriant, deux gatlings sortirent de chaque coté de la nacelle. Effrayé je sortis mon arme et me jetais sur le coté en tirant. Je dus toucher quelque chose puisque sous le crépitement des mitrailleuses j’entendis un bruit de gaz sous pression s’échappant. C’est sans doute pour cela que la nacelle refusa de s’abaisser et que je gagnais quelques minutes avant d’être poursuivi par un psychopathe armé d’un pistolet laser – arme standard des dirigeants. Je me ruai vers l’armurerie, pris deux chargeurs supplémentaires et une boite de balles pour le 10mm, puis j’ouvris une autre armoire, trouvai un fusil de chasse à deux coups que je mis avec quelques cartouches dans un sac qui traînait sur une étagère. Je passai par la cantine et la docthèque, puis filai à l’ascenseur pour atteindre le niveau 1.

J’arrivai devant la porte du sas : une porte en métal comme les autres qui s’ouvrait verticalement au centre et rentrait dans les murs. La pièce sur laquelle elle donnait était par contre différente des autres : deux mètres sur trois, sur le sol une grille au fin maillage, des murs de métal gris/blanc, en face une énorme plaque d’acier, et sur le coté un petit terminal. Je m’en approchai et sur le clavier sélectionnai les options : mesure d’urgence ; ouverture de la porte ; sortie d’un nombre limité de personnes ; 1 ; maintenance extérieure ; accord du dirigeant, demande de confirmation inutile. La porte derrière moi se ferma, une lumière tamisée rouge éclaira la pièce alors qu’un signal retentissait. La porte extérieure, énorme roue dentée en acier trempé de trois mètre de diamètre et quarante centimètre d’épaisseur, se mit soudain à se mouvoir sur le coté, laissant libre le passage. Je sortais enfin de l’enfer…

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