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FALLOUT24

Verset 6: Numquam Periculum Sine Periculo Vincitur

« Je ne sais pas si tu viens de te rendre compte, mais tu viens de t’attaquer à une famille de trafiquants très puissante.
-Quoi ? Moi, je me suis attaqué ? Rappelle moi qui était en train de faire le poirier quand tu es arrivé ? Et puis c’est toi qui a tué le premier et décidé de réunir les deux frères ensuite. Si tu le savais pourquoi tu n’as pas réagis avant ?
-En fait je n’en étais pas sur, mais quand j’ai vu la planque et les caisses de marchandises, j’ai su que c’était eux. Ils se font appeler la Famille Corleone et…
-Quoi ? C’est une blague !
-Eux ce sont – c’étaient – les neveux, ils s’occupaient du trafic d’arme, ils ont différentes planques comme ça par ici, et je comprends que tu étais un peu trop proche de l’une d’entre elles. Il y a aussi les cousins, une famille de cinq, qui se sont spécialisés dans le trafic d’essence et la récupération de véhicules. Il y a encore deux trois petits groupes indépendants mais on en entend peu parler par ici. Le plus gros de la famille étant encore autour du grand-père et vivent de racket, de la drogue, des redevances des ‘indépendants’ de la famille, de la prostitution et des impôts prélevés sur les populations qu’ils protègent.
-Si je comprends bien, on a au mieux une journée pour nous cacher avant de laisser notre karma décider pour nous si on va monter ou descendre ? -Oui, mais on a deux avantages ; le premier, c’est qu’il n’y a presque plus de pissenlits dans les wastelands. Bon, le second va mieux te convaincre : ils ne sont pas organisés en groupe paramilitaire. Ils ont des armes et de l’argent et peuvent payer des mercenaires en cas de guerre. Ils ont des assassins et peuvent tuer les cas isolés comme nous.
-Je ne vois toujours pas raison de me réjouir.
-En fait si on était un peu plus, trop pour envoyer des assassins et pas assez pour engager des mercenaires, ils seraient bien embêtés. Avec les mercenaires, on a toujours un risque de les voir tenter un putsch, ils vont donc hésiter à engager et armer un groupe de trente comme il en existe si on n’est qu’une dizaine. Cela ne va pas les retenir longtemps, mais ils prendront plus de temps pour réfléchir à leur façon d’attaquer.
-Et pendant ce temps, nous on fonce ?
-Non, on va voir des amis, les éclateurs d’yeux. Tu vas voir ils sont sympas.
-Ah ?.. » Je n’étais pas tout à fait convaincu…

Kurts me mena dans un dédale de ruine, entre des immeubles en lambeaux et des champs de caillasse, sur des rues où l’asphalte travaillait à mi-temps, et où la monotonie était rompue tantôt par une carcasse rouillée de voiture sans roues, sans moteur, sans sièges et sans vitres, tantôt par un groupe de clochards lépreux riant de toutes leurs gencives autour d’un bidon converti en brasero. Nous arrivâmes à une sorte d’entrepôt, sans étage mais assez étendu, toutes les fenêtres avaient des barreaux, et la seule porte semblait-il était surmontée d’une plaque en métal où avait été écrit au pinceau large, en lettres brunies qui avaient du être rouges, je préfère ne pas savoir pourquoi, ‘Eyes Bursters’.

Nous connûmes un accueil mitigé, c'est à dire que Kurts fut reçu très chaleureusement et moi regardé avec suspicion, puis mon compagnon expliqua que j’étais un ami et se porta garant, et j’eus enfin droit aux effusions. L’entrepôt n’était composé que d’une seule salle, mais avait des coins dinstincts. Régulièrement, juste en dessous de trous dans la toiture, on trouvait trois brasero-bidons. Il y avait un coin avec des couches, un coin avec des tables, un coin avec une armoire pleine d’alcool, un ‘petit’ coin, protégé par des draps, en face de l’entrée, qui pouvait facilement être barricadée en déplaçant une carcasse de congélateur industriel rempli de pierres et ferrailles, on trouvait une armoire remplie d’arme et de munitions. Des armes, en fait deux carabines, un fusil à canon scié, et trois petites mitraillettes, deux Skorpions et un MP9. Evidemment, chaque membre du gang avait son pistolet ou couteau attitré à la ceinture, sous les vêtements bien sûr parce que, on est pas des sauvages quand même. A côté de cette armoire, on trouvait un panneau où étaient accrochés toutes sortes d’outils : clef à molette, clef anglaise, clef à griffe, clefs plates (on devait être dans la version patchée), pied de biche, marteaux, tournevis, pinces diverses, pelles et pioches, etc. Alors que je regardais ce kit de bricolage complet, on vint me dire : tu vois, il est beau notre râtelier d’armes. Je ressens parfois un décalage auquel je ne me ferai jamais. Kurts me présenta les membres : Chico, un gamin toujours rieur, Pépé, aux traits sud-américains marqués, John Doe, un mec baraqué dont on savait peu de choses, Crowbar, un grand noir qui faisait très peur, mais qui se révélait très sympa après une bière, les jumeaux Smith et Wesson, Deagle, et Herbert, qui voulait qu’on l’appelle The Ripper mais que tout le monde appelait Herbert. « Et elle, c’est où elle veut, quand elle veut, et avec qui elle veut. » Accessoirement elle s’appelait Mina. Et le chef du groupe, lui, était appelé Python. Nom certainement acquis grâce au revolver du même nom dont il n’avait pas dû hésiter à se servir pour obtenir un tel respect. A ce noyau dur qui semblait résister depuis quelques temps, on pouvait ajouter des membres de passage, soit qu’ils cherchent protection quelques temps comme nous, ou seulement une étape où se reposer, soit qu’ils aient eu la fâcheuse idée de se faire tuer, leur souvenir s’estompant peu à peu dans les vapeurs d’éthylène. En ce moment le gang hébergeait moyennant finance deux allumés nommés Topdollar et Funboy, persuadés d’être poursuivis par un gars habillé en noir avec un corbeau sur l’épaule. Kurts avait expliqué au gang notre situation, et en effet ils restèrent accueillant et ne cherchèrent pas de noises à mes yeux. On vécut là deux semaines de débauche, sexe, drogue et rock’n roll. Bon, pour le rock cela se limitait aux chansons paillardes d’Herbert sur sa guitare sèche un peu désaccordée, la drogue à l’alcool, mais pour le sexe, des filles venaient tous les soirs et repartaient plus lourdes de quelques caps et d’un peu de, heu… Quoi qu’il en soit, je préférais réserver ma virginité à la future élue de mon cœur. Un de ces soirs de fête, Kurts me dit : « C’est quand même bête, avec cette usine, on aurait pu se faire un max de blé. » J’eus alors une idée. Ridicule d’abord, mais en en parlant à Kurts cela se concrétisa, puis Python donna sa touche finale, et cela devint évident. Le lendemain, on fit une réunion, on expliqua tout, on congédia les deux guignols hallucinés et on se prépara à partir.

Nous étions arrivé depuis une semaine à l’usine. Après avoir inspecté scrupuleusement les lieux, nous l’avions investi ainsi que la cache des neveux Corleone. On n’avait rien trouvé d’intéressant : quelques caisses de munitions endommagées par la grenade, le uzi du second frère, en morceaux. La cache était plutôt vide, ma présence les avait peut-être forcés à la déménager. On avait néanmoins trouvé trois armes lourdes, dont ils avaient du reporter le transport, et une caisse de mines antipersonnelles. Les trois mitrailleuses avaient souffert de l’explosion : une M60, fusil mitrailleur sur trépied ou portable à la main, qui s’enraillait souvent, une M249, mitrailleuse sur support que le canon un peu tordu discréditait, et une Browning M2. Cette arme qui rendait ridicule le mot : destructeur, dont j’avais entendu parler dans une histoire de massacre dans une ville appelée Osceolla, pesait quarante kilos et était largement trop lourde pour être portée par un humain normal. Elle avait dû être prélevée sur une jeep ou sur la tourelle d’un tank, c’est pourquoi elle n’avait pas de trépied. Le dernier détail qui me fit ravaler ma joie fut la découverte d’un mécanisme endommagé qui empêchait le tir en rafale ; nous avions l’arme ultime, sauf que nous ne pouvions viser et elle était bloquée en mode semi-automatique. Contre mauvaise fortune bon cœur, nous les avions tout de même utilisées. La browning était sur le toit, protégeant la cour du parking (dont nous avions bouché l’entrée par des carcasses de voiture) et les toits avoisinants. La M249 était à l’étage, et protégeait les deux entrées de marchandises. La M60, compte tenu de sa maniabilité, était sur une sorte de mirador de fortune construit à la hâte en face de la barricade, et qui nous permettait de monter sur les toits. Elle protégeait ainsi le barrage de pierre et pouvait facilement et rapidement être transporté sur le toit ou dans la fabrique en cas de coup dur. En plus de cela nous avions miné un peu partout. Comme prévu, les Corleone, méfiant à chaque mouvement de l’ennemi, surtout lorsque cela semblait illogique, ne réagirent pas, et nous eûmes le temps de réactiver toute la machinerie.

Lorsque la première bouteille de Nuka~Cola, cuvée 2128, avait été sortie, une grande fête avait été organisée. Python, devant tout le monde, l’avait décapsulée, avait bu goulûment, et avait tout recraché. Après cinquante ans d’attente dans les cuves, le produit était complètement périmé. « On dirait de la pisse. » Je crois que ça résume. L’effet sur le moral fut dévastateur. Une bombe a? n’aurait pas fait mieux. Mais alors que tout le monde voyait notre monnaie d’échange s’envoler, moi je trouvais le jeu de plus en plus intéressant, il allait falloir jouer serré. Je pris la parole. Je crois que cette fois, en exposant mon plan dans l’adversité générale, en redonnant l’espoir et avec un sacré culot, je fus complètement accepté dans le groupe. Et à la suite de cette épopée je compris qu’ils étaient mes amis. Bref. Voilà ce qui se passa.

Pendant une a deux semaines, trois équipes se relayaient à la production, la garde, et la recherche et l’achat de toutes les bouteilles de Nuka~Cola trouvables dans la région. Vint la partie la plus risquée du plan : Python, Kurts et moi, ainsi que Smith et Wesson en tant que gardes du corps, nous rendîmes à la demeure de la famille Corleone. Je voulais voir cette villa de luxe avec piscine, apparemment une lubie de riches avant la guerre, une sorte de grande baignoire pour pouvoir se laver en famille. Nous fûmes arrêtés avant par des gardes, et un des fils arriva rapidement dans une superbe voiture, tirée par un superbe cheval. Même pour les riches, le luxe a ses limites. Nous lui sortîmes notre beau discours : excuses, explications de la méprise qui entraîna la mort des neveux, recherche du pardon en formant une alliance, avec pour preuve de bonne volonté le don de nos stocks de cola nouvellement produit. Cola nouvellement produit ? Oui, nous avons restauré une vieille usine de production, mais c’est lourd à gérer et nous n’aurons bientôt plus d’énergie. Qu’est-ce que nous aimerions nous en débarrasser. Ecoutez, je pense que cela va nous intéresser. Vraiment ? Quelle meilleure façon de souder notre fraternité ? Très bien, je vais aller en parler au Père. Pourriez vous également prévenir vos cousins de notre trêve, nous aimerions leur acheter de l’essence pour continuer à faire tourner l’usine. Très bien, nous leur parlerons de notre future acquisition. Non, parlez seulement de la trêve, ils pourraient être jaloux de votre puissance encore croissante. Oui, bien sûr, vous avez raison.

Cet imbécile avait tout gobé. Quelques jours plus tard, le patriarche arriva. Il était moins facile à rouler. Il visita l’usine, la vit en état de marche, une chaudière nouvellement créée lui confirma que l’usine marchait bien au fioul, et sa haute connaissance de la technologie lui permit d’y croire dur comme fer : l’usine tournait, il y avait une chaudière, un litre d’essence permettait donc de créer un litre de cola. Il ne pensa pas non plus que le cola devait être dans un réservoir, et encore moins qu’après une semaine intensive d’utilisation, ce réservoir était presque vide. Il voulut voir la marchandise produite. Une pièce de stockage en était pleine. Des caisses les unes contre les autres et empilées jusqu’au plafond. Il vérifia que toutes les caisses étaient pleines, et voulut goûter. Evidemment les seules caisses dans lesquelles on pouvait prélever des bouteilles étaient les plus proches de la porte, celles que l’on avait remplies avec les bouteilles achetées à l’extérieur. Il but, et vit que cela était bon. Sa décision était prise, maintenant il allait essayer de nous arnaquer. Vous comprendrez que la perte de tels êtres chers ne peut être compensée par une simple cargaison de boisson, de plus non alcoolisée. Oui, oui, évidemment, évidemment. Vous cherchez à vous débarrasser de cette usine à tous prix, et je suis assez bon prince pour l’accepter. Sans compter que j’aurais pu la prendre de force. Oui, oui, évidemment, évidemment. Cela nous permettra d’oublier la douleur du deuil, vous n’y voyez pas d’inconvénient ? Non, non, évidemment, évidemment. Mais pour souder notre nouvelle alliance, je vais faire un marché et vous acheter votre provision de cola. Oh, merci, merci, nous vous devons tant.

Le prix fut de quelques kilos de drogue pure à 50%. Il repartit heureux car il pensait nous avoir volé. Plus dure en serait la chute. Le surlendemain, nous refîmes la visite pour les cousins Corleone. Encore moins méfiants que les précédents, ils étaient trop heureux de pouvoir asseoir leur position avec l’acquisition de cette usine, et ainsi espérer se mesurer au Père si craint. Ils nous achetèrent la marchandise pour une petite quantité d’armes légères : trois FN P90c, SMGs de très bonne qualité, précis et puissants certainement récupérés dans un dépôt militaire et sous-estimés à cause de leur forme peu commune, et une dizaine de Browning HP et Beretta M9FS, pistolets indémodables, courants, mais matière à revendre quoi qu’il en soit. L’usine, et ce fut le plus beau coup, nous rapporta un camion, l’arrière rempli de bidons d’essence, que nous sondâmes tous pour ne pas être floués, et un Hummer ! Où avaient-ils récupérés ce véhicule militaire, en état de marche, rapide et blindé, mystère… Quant au camion, un Trm 2000, à la base transport de troupe de l’armée, équipé d'un plateau bâché, il semblait un peu fatigué mais robuste et en très bon état.

Trois jours après, nous étions prêts au départ. Cinq personnes dans le Hummer, plus une sur le toit où avait été installée la M2 ; la camion suivait : trois personnes dans la cabine, trois autres sous la bâche, avec les bidons d’essence, les caisses de Nuka~Cola consommables, les deux valises de drogue – c’est pour revendre et se faire un trou, pas question de toucher à cette merde avait précisé Python –, les panneaux solaires, démontés avec soin, les réserves d’armes et de munitions, et tout ce qui pouvait valoir le coup dans l’usine. Les deux chevaux allaient voir leur bride attachée au camion, ils n’auraient pas trop de mal à suivre puisque nous comptions faire le voyage à petite vitesse. Et nous tous puissamment armés. Nous allions migrer. Si tout ne s’était pas déroulé comme prévu, nous nous en sortions beaucoup mieux que prévu. Le patriarche, toujours méfiant, demanderait prudence et fouille de l’usine avant de l’investir, ce qui nous laisserait deux jours avant qu’il ne se rende compte qu’il s’était fait avoir. Puis il y aurait certainement confrontation entre les deux cousins, avant que les deux parties ne se rendent compte de la supercherie. Il ne faudrait certes pas revenir ici avant longtemps, Kurts avait dit à Tina qu’il s’absenterait un moment. Là où nous allions, la vie allait être meilleure. Comme d’habitude. Mais ce n’était pas la peine de leur gâcher leur joie, qui vivrait verrait. Avant de partir, le dernier soir, à côté des deux véhicules garés dans la ruelle dont nous avions fait sauter la barricade, nous fîmes une grande fête. Alcool à flot, filles de gaieté, comme disait Chico, bref, rien de plus que d’habitude, sauf que cela faisait un mois que cela n’était pas arrivé, et cette fois il y avait une raison, quelque chose à fêter. Alors que je regardais tous ces seins, ces croupes, ces cuisses, un peu éméché et abruti par l’alcool, Mina s’approcha de moi : « Il parait que tu te réserves ? Je trouve ça tellement chou, ça fait petit garçon. Allez viens, je t’invite mon bébé. » Un peu blessé, je lui répondis : « Toi ? Tu peux encore servir après tout ce que tu as été utilisée ? » J’eus un bleu pendant deux semaines, et étrangement à vie un bon souvenir qui aujourd’hui encore me rend mélancolique. J’ai encore ma molaire en pendentif…

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