Démarrage
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Verset 7 : Alea Jacta Est Vingt-et-un Mars 2128. Le printemps revenait. Après un hiver ensoleillé, à la température idéale, où l’on n’a ni besoin de se couvrir ni de se dévêtir, je me demandais à quoi correspondrait le retour des beaux jours. Les autres ne semblaient pas en avoir conscience. Qu’est-ce que le temps quand seule la survie au jour le jour compte ? Pourtant les anniversaires et commémorations diverses étaient célébrées, on avait retrouvé des calendriers, ou alors la tradition ne s’était pas perdue ; étrange de voir que les valeurs mêmes que les philosophes avaient un jour appelées humanité avaient disparu si facilement, alors que les contraintes sociales et arbitraires avaient survécues – pas leur signification malgré tout, le dimanche était un jour comme les autres, les saisons ne semblaient pas éveiller de réaction, ne parlons pas des années bissextiles. Bref. Nous étions arrivé dans ce nouveau secteur de cette immense ville en ruine il y a quelques semaines. Six, sans doutes, mais j’avoue avoir un peu perdu le fil du temps. Nous avions réussi à nous installer, mais la vie n’avait plus rien à voir avec ce que nous avions tous connu précédemment. Nous avions grandi, franchi un échelon de la société : la vie était plus excitante, mais plus dure, il fallait travailler pour survivre. Je commençais à mieux cerner l’endroit dans lequel je me trouvais, au fur et à mesure que je m’y enfonçais. La ceinture extérieure était gardée par les plus bas échelons, la lie de l’humanité et ce qu’il y avait dessous. En s’enfonçant on trouvait quelques groupements de population, qui vivaient de troc, d’agriculture et d’élevage, dans des champs patiemment dépierrés, aménagés sur des terrains complètement détruits. Une civilisation primaire. Dans cette zone, ce n’avait plus rien à voir. Les quelques parasites, gangs ou familles, qui hantaient gentiment notre précédent lieu de campement, Junktown, paraissaient des enfants de cœurs en comparaison des plus calmes ères de ces lieux. Après une semaine, Kurts me confia : « Parfois je me dis que nous sommes passés de la préhistoire à la décadence sans connaître la civilisation. » Décidément ce pays était coutumier du fait. Nous avions trouvé un petit bastion pour nous établir. Enfin, avions trouvé ; le bâtiment nous était loué. Mais à époque différente, méthodes différentes ; celui qui nous avait contacté n’avait rien du promoteur en costume d’il y a quelques cent ans. En voyant un gang arriver ou se former, il proposait de vendre une information sur un lieu idéal pour s’établir et facile à défendre, moyennant une forte somme bien entendu. Il n’avait plus ensuite qu’à attendre que le gang se fasse décimer pour ensuite revendre l’endroit à un nouveau groupe déjà en sursis. Nous nous trouvions dans l’enceinte d’une petite société certainement, mais difficile de savoir exactement, la place ayant été utilisée par une dizaine de groupes avant nous, et ayant été largement optimisé pour correspondre le mieux possible à une forteresse. Le mur entourant le site portait du fil barbelé un peu fatigué et un chemin de ronde sur la solidité duquel je n’aurais pas misé ma vie. La grille épaisse était d’origine mais s’actionnait à la main. En face du bâtiment en lui-même, on trouvait quatre garages les uns à côté des autres. Un pour chacun de nos deux véhicules motorisés, un transformé en écurie pour les deux chevaux, et le dernier, faute de mieux, en salle de garde. Notre bastion en lui même était composé de deux pièces au rez-de-chaussée, anciennement dépôt et accueil, et une série de bureaux à l’étage. L’un d’entre eux servait de salle d’arme et d’équipement (nous avions acquis quelques armures de cuir, sortes de gilets pare-balles artisanaux et souvent puants), les autres de chambres, minuscules certes mais c’était déjà un luxe. Les précédents occupants avaient même eu la gentillesse de nous léguer leurs lits, de superbes caisses de tailles à peu près égales sur lesquelles des paillasses, coussins, ou lambeaux de tissus formaient matelas et couvertures. La salle du bas servait de salle commune, quant au dépôt, il avait gardé sa fonctionnalité première. Pour survivre, il nous avait en effet fallu trouver une activité. La seule qui nous avait paru durable avait été l’exploitation de notre camion. Les autres trafics auraient étés plus dangereux, il aurait fallu s’attaquer à des groupes déjà établis. Là, on ne servait qu’à transporter des marchandises, sans être trop regardant. Cela nous avait permis de nous faire de nombreuses relations sans attirer les foudres de quiconque. On demandait de l’essence en plus du paiement, et des précisions sur la nature de ce que l’on transportait, en réalité quelles étaient nos chances de subir une attaque. Suivant les cas nous scindions le groupe en trois ou quatre, et il y avait toujours une division en place à notre bastion, et au moins une avec le camion. Nous n’avions subi que très peu d’attaques, préférant bien protéger nos marchandises lors de transports à hauts risques. Toutefois, nous n’avions pas pensé que le camion en lui-même était objet de désir, et outre sa valeur dans notre monde, l’utilisation que nous en faisions générait trop de profit pour qu’ils ne soient pas enviés. Je fis les frais de notre stupidité. J’étais ce jour là dans la cabine, à côté de John Doe qui conduisait – personnellement je n’avais jamais appris, ni à nager d’ailleurs, à cause de ma vie dans l’abri – quand nous entendîmes des coups de feu. Crowbar était à l’arrière et sa carabine semblait dérangée par une présence indésirable. Dans le rétroviseur je vis deux motos et un engin étrange. Doe regarda à son tour et dit : « c’est un triporteur de marque Fiat ; il a été tiré en 6500 exemplaires puis il y eut une seconde édition, spéciale, de trois cent véhicules. Vingt d’entre eux furent destinés à l’exportation, mais le bateau coula parce qu’un des marins, Mikhaïl Medvedov, avait mis un peu de whisky de marque russe : Wiskovitch dans la tasse de son camarade responsable de la barre, Phong Tran, alors que celui-ci ne supportait pas l’alcool. Mais un mafieux américain en fit importer un par ses propres moyens. Juste avant la guerre il l’avait rangé dans sa maison, au 121 de la 31e, à gauche de sa Mercedes et sous une couverture beige 100% coton. » Ah. Parfois il me rendait perplexe. J’avais toujours sur moi mon 10mm, et l’AK-112 léguée par mon ancien compagnon de jeu, à l’usine. Je décidai de passer à l’arrière pour aider Crowbar, qui semblait ne pas s’en sortir, et dont les munitions allaient vite s’épuiser. Je sortis par la fenêtre de la portière et me hissai sur le toit de la cabine. Très vite je compris combien mon acte était hasardeux et je manquai trois fois d’être éjecté. John accélérait et le terrain était chaotique. Une fois sur le toit, je me jetai à plat ventre sur la bâche, ce qui donnait une meilleure adhérence, je rampai et m’apprêtai à tirer. Les deux motos semblaient sorti d’un film de science-fiction. Rafistolées par des tuyaux qui laissaient échapper des gazs sous pression, on ne pouvait identifier le modèle original, à moins qu’elles n’aient été de conception artisanale. En les regardant, il me vint un mot de Kurts : « Tout fout le camp ». Mon fusil étant automatique, j’eus beaucoup moins de mal que Crowbar pour toucher ces deux poursuivants. La première moto explosa, sans doutes atteinte au réservoir, la seconde tangua dangereusement puis chassa alors que le pilote était éjecté. Le troisième engin semblait plus compliqué à éloigner ; il avait en effet trois roues, celle à l’avant était protégée par une sorte de plaque en fer reliée au carter par du gros caoutchouc, une ancienne chambre à air certainement. Le moteur se trouvait à l’arrière, et un pare-brise renforcé de nombreuses plaques de plastique épais rejoignait un petit toit qui protégeait le conducteur. Le petit calibre de mon arme s’épuisait et ne semblait pas décidé de traverser une de ces protections. Je descendis donc, non sans mal, rejoindre Crowbar qui avait lui aussi décidé d’arrêter de gaspiller ses munitions. Notre dernier assaillant se mit à nous tirer dessus, sans doute avec une arme semi-automatique. John Doe dut sans doutes réduire la vitesse puisque le triporteur se rapprocha. J’eus une poussée d’adrénaline, arrêtai de penser, et soudain je sautai du camion vers le pare-brise qui nous talonnait. Je ne sais pas exactement ce qui se passa. Après avoir violemment heurté notre poursuivant, je fus éjecté vraisemblablement vers le haut. J’atterris alors dans une remorque tirée par l’engin, ou alors l’homme abandonna la course et me ramassa, me croyant mort. Quoi qu’il en soit, je me réveillai plus tard dans cette remorque, et je mis du temps à retrouver mes idées et comprendre la situation. Je pensai d’abord attendre, mais voyant que j’étais déjà dans un endroit inconnu et que j’y enfonçais de plus en plus, j’eus un moment de panique, pris mon 10mm encore à ma ceinture et me mis à tirer dans la plaque de tôle devant moi, derrière laquelle devait se trouver mon ravisseur. Celui-ci sortit la tête de son engin sans porte et fut visiblement étonné de me voir, en vie, en train de lui montrer une antipathie manifeste. Il se mit tout d’abord à zigzaguer, je dus me plaquer et m’accrocher à la remorque, puis il sortit son bras et tira au hasard vers l’arrière. Mon chargeur était presque vide, et je ne savais pas si les balles traversaient son habitacle ; je tirai donc vers sa main. Le triporteur chassa plus que de coutume. Je vis tout d’un coup quelque chose arriver vers moi et le pris en pleine figure. Je ne sais pas ce qu’il avait lancé, peut-être son arme s’il ne pouvait plus l’utiliser, mais je saignais du nez et j’étais vraiment sonné. Il donna un autre coup de volant et je fus éjecté. Je commençai un roulé-boulé d’une centaine de mètres lorsque je perdis connaissance. J’émergeais peu à peu d’un inconnu brumeux. Il me semblait avoir vu un nain me disant Tagazok et me proposant de taper sur un dirigeant d’abri devant moi, puis dire qu’il me fallait partir car mes amis avaient utilisé un point de destin pour me sortir de là, alors que j’allais écraser le nez du dictateur que j’avais fui. Bref, une sorte de coma pendant lequel j’avais déliré, et qui avait du durer plus de douze heures puisque nous étions le matin, d’après le soleil au dehors qui semblait assez bas. J’étais dans une ancienne église dont le toit était largement troué. Le sol semblait poudreux sous moi, je compris que j’étais sur un lopin de terre où poussaient des plantes. Je remarquai alors une fille à coté de moi ; elle semblait assez jeune, avait de grands yeux verts, un petit nez et de longues nattes brunes. Elle portait une robe rose qui lui descendait jusqu’aux mollets et avait un quarterstaff, long bâton qui pouvait servir d’arme. « Bonjour. Vous allez bien ? Je venais ici comme chaque matin, pour m’occuper de mes fleurs, – je vends des fleurs – lorsque je vous ai trouvé, couché dans le parterre. D’ailleurs c’est assez ennuyeux, car elles ne poussent qu’ici. Sans doute la quiétude du lieu. Quoi que ces derniers temps, des hommes cherchent à m’attraper sans raison. Voudrais tu devenir mon garde du corps, pour que je puisse rentrer chez moi ? Au fait je ne me suis pas présentée, je m’appelle Aeris. » J’avais certes l’esprit qui tournait un peu au ralentit, mais je flairai l’embûche. « Ah non, ça va pas recommencer », et je m’enfuis en courant.
En quittant l’église, je compris mon erreur. Mes deux chutes n’avaient pas été sans séquelles. J’avais peine à tenir debout et je ne distinguais pas bien ce qui se situait à plus de quelques mètres. Dans un mur, sur la gauche, je vis la remorque à moitié encastrée. Il y avait des traces de pneus brûlés sur la chassée, mais on ne trouvait pas trace du véhicule ni du chauffeur. En face de moi, un mur haut de deux mètres me barrait la route et semblait continuer tout le long de la rue. Il y avait néanmoins un passage dans le mur, mais qui était largement encombré de végétation. Je me frayai tant bien que mal un chemin, ce en déchirant encore plus mes vêtements déjà en lambeaux. Mon armure de cuir m’avait néanmoins évité de subir plus que quelques contusions. |
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