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1. L'incertitude des prévisions
Le calcul d'utilité exige que j'imagine et que je prévoie les plaisirs ou les désagré- ments de toutes les personnes qui seront touchées par mon action. Il s'agit d'une opération très hasardeuse et subjective, qui suppose que je spécule sur la nature de l'expérience intérieure d'autrui et que je fasse des prévisions sur ses réactions futures. Ce calcul exige aussi que je mesure toutes les conséquences de mon action. Or, n'im- porte quelle action peut avoir des conséquences virtuellement indéfinies, car elle peut provoquer des réactions en chaîne et avoir toutes sortes de retombées indirectes. Il est donc très difficile de s'assurer de l'exactitude de telles prévisions. Tout cela nous éloigne du rêve de Bentham, qui visait un calcul d'utilité «< scientifique >>.
2. Le manque de ressources et de temps
Le calcul d'utilité peut représenter une tâche colossale que nous n'aurons souvent ni le temps ni les moyens d'accomplir. Il nous faudrait idéalement tenir compte d'un ensemble d'informations dont nous ne disposons peut-être pas ou que nous n'avons pas le temps de rechercher. Il n'y a pas de limites non plus à l'effort d'imagination que nous pourrions mettre à étudier de nouveaux scénarios d'action. Un tel calcul peut donc s'imposer pour certaines questions d'importance majeure ou pour des pro- blèmes particulièrement complexes. Mais, dans la plupart des situations de la vie courante, les exigences qu'il requiert paraissent démesurées.
3. L'irréalisme quant à la sphère privée
Une application systématique du principe d'égalité «< chacun compte pour un >> dans la sphère privée de la morale intrapersonnelle et interpersonnelle a par ailleurs un
caractère quelque peu incongru. L'utilitarisme est une morale de la bienveillance qui nous demande de faire le moins de mal et le plus de bien possible dans chacune de nos actions. Or, il paraît moralement justifiable que nous accordions généralement un traitement préférentiel à nous-mêmes d'abord, et ensuite à nos proches, à nos enfants, à nos amis ou à nos parents, même si nous pouvions théoriquement générer une plus grande quantité de bien-être en distribuant nos faveurs et nos ressources à des étran- gers ou aux habitants des pays pauvres. Au moment de faire du bien autour de soi, mettre tout le monde sur le même pied ou devoir mettre en balance nos projets de vie personnels contre le bonheur du plus grand nombre paraît irréaliste et contraire à notre sens moral naturel.
4. L'incommensurabilité des plaisirs
Une autre critique importante concerne plus spécifiquement la composante hedoniste du calcul d'utilité. Un calcul d'utilité hédoniste suppose que nous quantifiions, addi- tionnions et soustrayions des plaisirs, des satisfactions ou des désagréments de tous ordres. Une telle opération implique que nous placions tous les plaisirs et satisfactions humaines possibles sur le même pied, en nous contentant de les discriminer de manière purement quantitative. Cela suppose donc que toutes les expériences humaines partagent une essence commune qui les rend comparables et commensu- rables. Suivant le postulat hédoniste de Bentham, c'est le plaisir qui doit être cet étalon de mesure dans notre calcul. Mais comment peut-on comparer les satisfactions procurées par le travail et le repos, un plaisir intense et court et un plaisir long et doux, un match de tennis et la lecture d'un roman, ou les douleurs associées à une expé- rience d'humiliation et à la migraine?

5. L'inégalité qualitative des plaisirs
Enfin, l'idée d'égalité de tous les plaisirs mène à une autre bizarrerie. Elle semble signifier qu'au moment d'évaluer la moralité d'un acte de viol ou d'une agression raciste nous devrions mettre en balance le plaisir que peut en tirer son auteur et la souffrance qu'il a causée à sa victime. L'idée même d'une telle opération heurte de front notre sens moral.

Now answer this exercise :

EXERCICE 4.2
Vous participez à une réunion du Conseil du trésor du gouvernement du Québec qui donne lieu à un débat houleux. En effet, trois ministres cherchent à convaincre les membres du Conseil d'allouer en priorité des fonds substantiels au projet qu'ils défendent, et cela au moment où le gouvernement fait face à une importante crise financière. Le premier projet consiste à augmenter considérablement les sommes allouées aux bibliothèques scolaires, qui sont dans un piteux état; le deuxième vise à subventionner un projet d'usine de fabrication de pièces d'automobile en aluminium dans une région éloignée du Québec plongée dans le marasme économique; enfin, le troisième projet, issu du ministère de l'Environnement, a pour objet d'augmenter notablement le nombre d'inspecteurs nécessaires à une surveillance efficace de l'application des lois sur la protection de l'environnement. Il incombe aux membres du Conseil du trésor de décider à quel projet ils donneront la priorité.
Parmi les cinq difficultés du calcul d'utilité que nous venons d'exposer, lesquelles s'appliquent à ce cas et pourquoi?

5. L'inégalité qualitative des plaisirs
Enfin, l'idée d'égalité de tous les plaisirs mène à une autre bizarrerie. Elle semble signifier qu'au moment d'évaluer la moralité d'un acte de viol ou d'une agression raciste nous devrions mettre en balance le plaisir que peut en tirer son auteur et la souffrance qu'il a causée à sa victime. L'idée même d'une telle opération heurte de front notre sens moral.

Ce cas présente trois projets différents, et chaque projet implique de prendre en compte les intérêts et le bien-être de différentes parties. Il est donc difficile de déterminer quel projet générera le plus de bien-être pour le plus grand nombre de personnes, et cela renvoie à plusieurs des difficultés du calcul d'utilité évoquées plus tôt.

L'incertitude des prévisions: La prédiction de l'impact à long terme de chaque projet sur le bien-être de la population est incertaine. Par exemple, l'amélioration des bibliothèques scolaires pourrait avoir un impact positif sur l'éducation, mais la mesure exacte de cette amélioration est difficile à évaluer.
Le manque de ressources et de temps: Évaluer tous les aspects de chaque projet, y compris les effets sur le bien-être à court et long termes, nécessiterait d'importants moyens et de temps pour réaliser des études et des analyses complètes.
L'incommensurabilité des plaisirs: Il est difficile de comparer directement les effets de chaque projet sur le bien-être des personnes touchées. Par exemple, comment comparer la valeur de la stimulation économique de la région défavorisée à celle de la préservation de l'environnement ou de l'amélioration de l'éducation?
L'inégalité qualitative des plaisirs: Les projets sont destinés à cibler des groupes différents, et certains pourraient affecter des individus d'une manière plus positive qu'un autre. Cela soulève la question de la manière de donner plus de poids aux personnes qui pourraient bénéficier directement des projets.

Le calcul d'utilité est donc problématique dans ce cas car il requiert de comparer des aspects incomparables et de prévoir des résultats incertains. De plus, il soulève des questions éthiques sur la manière de traiter les intérêts des différents groupes concernés.

Dans le contexte de cet exercice, plusieurs des difficultés du calcul d'utilité mentionnées précédemment peuvent s'appliquer :

L'incertitude des prévisions : Les conséquences de chaque projet sont difficiles à prévoir avec certitude. Par exemple, il est incertain de savoir quel impact aura l'augmentation des fonds alloués aux bibliothèques scolaires sur l'éducation des élèves, ou quelles seront les retombées économiques exactes de la subvention à l'usine d'aluminium. Les réactions des différentes parties prenantes et les effets à long terme ne sont pas toujours prévisibles avec précision.

Le manque de ressources et de temps : Les membres du Conseil du trésor peuvent être limités en termes de ressources et de temps pour effectuer une évaluation exhaustive de chaque projet. Ils peuvent ne pas avoir suffisamment d'informations ou de temps pour examiner toutes les implications et conséquences de chaque décision, ce qui rend difficile la prise en compte de toutes les variables pertinentes.

L'irréalisme quant à la sphère privée : Les préférences individuelles et les intérêts politiques des membres du Conseil peuvent influencer leurs décisions, même s'ils doivent agir dans l'intérêt public. Par exemple, certains membres pourraient favoriser le projet qui bénéficie à leur circonscription électorale ou à leur portefeuille ministériel, plutôt que de considérer uniquement le bien-être global de la population québécoise.

L'incommensurabilité des plaisirs : Il est difficile de comparer les avantages et les inconvénients de chaque projet de manière objective. Par exemple, comment comparer le bien-être potentiellement accru des élèves grâce à de meilleures bibliothèques avec les retombées économiques d'une usine d'aluminium ou les bénéfices environnementaux d'une surveillance accrue des lois sur la protection de l'environnement ?

L'inégalité qualitative des plaisirs : Certains projets peuvent bénéficier à des groupes spécifiques de manière disproportionnée par rapport à d'autres. Par exemple, l'usine d'aluminium pourrait créer des emplois dans une région en difficulté économique, mais cela pourrait ne pas profiter de la même manière à l'ensemble de la population ou à l'environnement.

Ces difficultés soulignent les défis complexes auxquels sont confrontés les membres du Conseil du trésor dans leur prise de décision, et mettent en lumière la nécessité d'examiner attentivement les différentes dimensions de chaque projet avant de prendre une décision.