[RPG-MAKER.FR] Oniromancie: tout l'univers de RPG Maker en français

“Veuillez boucler votre ceinture pour le décollage.’’

Moi qui espérais m’allonger pour la durée du vol, je me retrouve assis aux côtés d’un véritable colosse. Ses vêtements sont si tendus sur sa musculature saillante qu’ils semblent sur le point de déchirer. L’homme dort paisiblement et je m’efforce de prendre ma place sans le réveiller. Enfin, ce qui reste de ma place compte tenu de la corpulence du bonhomme. Afin d’éviter tout contact, je me tiens, contorsionné, à l’extrémité de mon siège. Le voyage s’annonce long!

De l’autre côté, une femme âgée vient de prendre place, enfin, tente de prendre place. Elle m’importune un peu avec ses excuses et passe son temps à me bousculer avant de finalement parvenir à s’asseoir. Dans ce genre de situation, je préfère éviter le contact visuel afin de décourager toute tentative de conversation. Je suis las et irritable, mon voyage m’a fatigué et je n’ai aucune envie de m’efforcer de meubler le silence pour les nombreuses heures que durera le vol.

Manque de vigilance de ma part ou tout simplement inévitable destin, nos regards se croisent enfin peu après le décollage. Un regard de trop. Je commets l’erreur de lui adresser un sourire poli qu’elle interprète comme une ouverture au dialogue. Pour les vingt prochaines minutes (je le sais, j’avais constamment un oeil sur ma montre), elle me raconte dans les moindres détails son voyage dans un petit patelin du Canada. Au début, je me contente d’acquiescer machinalement mais après un certain temps, elle ne remarque même plus que je ne l’écoute plus tant elle est enthousiasmée par son périple en terres canadiennes.

‘Pardonnez-moi, je dois utiliser les toilettes’ dis-je, en m’empressant d’enjamber ses vieilles jambes flétries. Peut-être dû à son âge avancé, elle ne fait pas trop d’efforts pour m'accommoder et je peste en silence à de nombreuses reprises avant de m’en libérer. Retenant mon souffle, je tente de scruter la pénombre pour trouver un endroit plus confortable et surtout, plus silencieux. Ça y est! Tout au fond, trois sièges de libre, je suis sauvé! Le silence, l’espace et un peu de confort, enfin!

Mon soulagement est de courte durée, cependant. J’ai beau être étendu (inconfortablement), impossible de dormir. Je ne supporte pas l’ennui et me mets à penser, à ressasser le passé et à m’imaginer le futur. Mes réflexions m’occupent un certain temps mais, comme à mon habitude, à force de m’inventer d’éventuels problèmes, je me sens anxieux et tendu.

Afin de me changer les idées, je décide de consulter les films disponibles à visionner pendant le vol. À ma grande déception, l’offre se limite à des films de superhéros américains et je perds rapidement espoir de trouver quelque chose d’intéressant pour me faire passer le temps. Je suis sur le point d’abandonner quand un titre capte mon attention: vol 331.

Je reste un instant figé devant mon écran et je m’empresse de vérifier mon billet que j’avais plié et empoché: vol 331. En voilà une étrange coïncidence! De plus, j’ai beau ne pas être un cinéphile, je n’ai jamais entendu parler d’un film qui s’intitule ‘vol 331’.

N’ayant rien d’autre à faire et piqué par ma curiosité, je décide de lancer le film, on verra bien, après tout. Sur l’écran, j’aperçois aussitôt deux passagers qui me sont très familiers: un homme massif assoupi contre le hublot et une femme à la peau parcheminée qui s’efforce de lire les consignes de sécurité (qu’elle tient à l’envers). Je reconnais également mon manteau rouge vif que j’avais laissé sur mon siège, il ne fait aucun doute: il s’agit bien de mon vol.

Je suis perplexe. Pourquoi avoir caché une caméra à cet endroit précis et surtout, pourquoi rendre disponible l’enregistrement comme divertissement pour les passagers? Ça ne fait aucun sens. Je jette un coup d’oeil à l’octogénaire: elle examine toujours les consignes de sécurité. Lorsque je regarde à nouveau l’écran, je remarque qu’il est possible d’avancer l’enregistrement… mais qu’est-ce que cela veut-il bien dire?

J’appuie sur la touche fléchée droite, histoire de voir de quoi tout cela retourne. Tout s’anime et se déplace rapidement sur mon écran: je vois la vieille dame abandonner sa lecture et tenter de se lever. Elle trébuche dans l’obscurité et s’étale de tout son long avant qu’une agente de bord l’aide à reprendre son siège. J’appuie sur pause et mes yeux sont encore une fois rivés sur l'aïeule, en vrai, cette fois.

Je suis tellement curieux que j’ose à peine cligner des yeux. Les secondes puis les minutes passent et je commence à me détendre, me disant que ce doit être un de ces canulars télévisés pour les chaînes de grande écoute. Puis, sous mes yeux ébahis, mon ancienne voisine de cabine se lève, s’efforce de maintenir son équilibre et s’écroule. Heureusement pour elle, l’agente de bord est déjà à ses côtés.

Je me sens un peu coupable, je l’admets mais au lieu de lui venir en aide, je retourne à mon écran. Mon coeur bat la chamade et je sens sur mes tempes une pression à peine supportable, mais j’ai l’irrésistible envie d’explorer ce film étrange et son contenu. La main moite, j’appuie à nouveau pour faire avancer:

D’autres passagers se regroupent autour de la vieille femme qui semble mal en point. Tous se déplacent à une vitesse vertigineuse, tentant à tour de rôle de venir en aide à cette femme.

Avec tout ce qui se passe en accéléré, difficile de juger du temps qui s’écoule mais l’avion est soudainement pris d’un léger soubresaut et quelques bagages se dégagent du compartiment à bagages et je remarque un sac de toile vert fluo qui tombe dans l’allée.

Quelques instants plus tard, je regarde pantois mon écran alors que les braves passagers qui avaient quitté leur siège pour donner un coup de main se retrouvent propulsés de tout côté comme des fétus de paille. À en juger le visage terrifié de l’agente de bord, il ne s’agit pas là de simples turbulences.

Tout se passe alors très vite, l’avion pique du nez et j’ai tout juste le temps de voir ce qui me semble être la cime d’une montagne, avant que le film prenne subitement fin.

…

Je bondis de mon siège et rejoins un petit groupe qui s’agglutine peu à peu près du corps inerte de la vieille. Je m’apprête à interpeller l’agente de bord qui est en train de lui dispenser les premiers soins. Je réalise tout à coup la futilité de mon entreprise. Que pourrais-je bien lui dire sans passer pour un fou à lier? D’autant plus qu’elle est déjà bien trop occupée à tout faire pour venir en aide à une femme bien mal en point. Moi seul sais, je dois tenter quelque chose, peut-être arriverai-je à la convaincre malgré tout.

Je tente de me frayer un chemin pour me rapprocher de l’agente, mais nous sommes trop nombreux à occuper l’allée et je dois jouer du coude et me faire couvrir d’insultes. Peu m’importe, je dois la prévenir à tout prix.

Je viens tout juste de me dépêtrer et je m’apprête à expliquer le danger imminent quand je trébuche et je m'agrippe au dossier d’un siège pour éviter de m’effondrer. D’un rapide coup d’oeil, je regarde l’objet qui a presque causé ma chute: un sac de toile vert fluo.

FIN

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(j'ai fait deux versions et j'ai retravaillé la seconde version à deux reprises.)